a/s des événements du 20 juillet 1932.
Sous le prétexte des graves violences de la campagne électorale en cours (99 morts en Prusse depuis le 14 juin), mais sans doute en réalité parce que le gouvernement social-démocrate élu du Land de Prusse avait fait perquisitionner des locaux du Parti nazi pour prouver ses objectifs putschistes, et aussi parce que il semblait que les élections allaient donner une majorité de gauche, a eu lieu ce que l’on nomme le « Coup de force de Prusse » (Preußenschlag). Le chancelier von Papen convoque le ministre de l’intérieur de Prusse, Carl Severing, pour lui signifier que, avec l’accord du président Hindenburg, un décret-loi a mis fin au gouvernement socialiste de Prusse d’Otto Braun. Severing conteste la légalité de la procédure, mais von Papen fait état d’un second décret-loi instaurant l’état d’exception à Berlin et dans le Brandebourg, désormais sous le contrôle de la Reichswehr du général Von Rundstedt. Le gouvernement légal de Prusse finit par céder et est provisoirement remplacé par von Papen lui-même (dans la fonction de Haut-commissaire en Prusse). Il s’en suit une épuration de l’administration prussienne.
Le SPD rejette la proposition communiste de grève générale et appelle la population à garder son calme, elle est de toute façon dissuadée de bouger par un énorme déploiement de forces de police. Il s’agit évidemment d’une grave atteinte à la démocratie et ceci signe l’accélération de l’effondrement de la République de Weimar, le gouvernement de la Prusse étant le plus résistant à la poussée nazie. L’ambassadeur raconte, dans une très longue dépêche, comment est survenue cette journée et comment elle signe une étape décisive dans la montée en puissance du nazisme qu’il observe depuis septembre 1931.
Dépêche (extraits) de M. André François-Poncet, Ambassadeur de France
à M. Herriot, Ministre des Affaires étrangères
Berlin, 28 juillet 1932.
« (…) L’opération du 20 juillet n’est peut- être pas tout à fait un coup d’état; mais c’est un coup de main. On a parlé, à son sujet, d’un « putsch à froid »; c’en est bien un. Le plus étonnant, dans ce coup de main, c’est d’ailleurs moins encore la brutalité et l’audace avec lesquelles il a été exécuté, que la docilité et l’absence de réaction avec lesquelles il a été accueilli.
On s’est imaginé, en France, qu’il y avait eu à Berlin un branle-bas de révolution; on s’est représenté la force armée campée sur les places et dans les rues, les boutiques fermées, les volets clos, la population grondante ou étreinte par l’angoisse. À la vérité, la vie ordinaire n’a été ni interrompue, ni modifiée ; le 20 juillet a été un jour semblable aux autres ; il n’y a pas eu un client de moins dans les brasseries et les cafés; le déploiement militaire s’est borné à quelques camions, porteurs de quelques hommes; la fameuse phrase, prononcée jadis par le vieux junker Oldenbourg-Januschau sur le lieutenant et les quatre soldats qui suffiraient à résoudre le problème parlementaire, s’est réalisée à la lettre; aucune explosion, aucune manifestation de ferveur républicaine ou d’amour de la liberté; pas de cortège dans la rue; pas de sections de la «Bannière d’Empire»; les troupes du «Front d’airain» n’ont pas bougé; les « Trois flèches », symbole de la résistance socialiste, sont restées dans le carquois; le cri de « Vive la République! », poussé par le président de la police et par le ministre Severing dans leurs bureaux, n’a pas traversé les fenêtres. La police, les schupos, qu’on disait dévoués au gouvernement et animés de sentiments républicains, n’ont pas bronché; ils ont assisté, impassibles, à l’arrestation de leur chef; ils ont obéi aussitôt et sans répugnance à l’autorité militaire; les syndicats ouvriers n’ont esquissé aucun geste de grève ; aussi bien leurs caisses sont-elles vides, et l’existence de cinq millions de chômeurs n’est-elle guère favorable au succès d’une telle entreprise ; le parti communiste ne s’est risqué qu’à quelques bousculades sans portée ; la presse elle-même, craignant d’être saisie ou suspendue, est restée réservée dans ses critiques et timide dans ses protestations, si bien que la journée du 20 juillet n’a été, à aucun égard, pour la démocratie allemande, une « glorieuse ». (…) »
in Documents diplomatiques français 1e série, Tome I : 9 juillet -14 nov. 1932, Imprimerie nationale, 1966, doc. 76, p. 127-128.
L’ordonnance présidentielle d’urgence affichée sur les murs de Berlin, juillet 1932